Au soir de sa vie, l’immense cantatrice Félia Litvinne se penche sur ses souvenirs. Adulée internationalement comme une des plus grandes wagnériennes, son éblouissant parcours de gloire nous emmène dans les lieux les plus mythiques de l’art lyrique, rencontrer les personnalités les plus resplendissantes comme les plus humbles admirateurs, auxquels jamais ne manqua son dévouement total. Adorable cigale, Félia Litvinne qui toujours se donna sans compter connut une fin de vie financièrement difficile. Mais son amour inconditionnel de la vie ne faiblit jamais, et lui donna la force de partager jusqu’au bout, en tant que professeur, les trésors de son incomparable expérience. Les spécialistes et les professionnels trouveront dans la dernière partie du livre de précieuses indications techniques, données généreusement par cette grande âme totalement dévouée à son art.
(Préface de Charles-Marie Widor. Édition annotée.)
Ma vie et mon art
Bref, le jour de la création du Crépuscule des dieux arriva, et la première fut un grand triomphe : mes efforts avaient été récompensés ; nul détail n’avait été négligé et mes camarades se montrèrent admirables dans leurs rôles. Il y eut cependant un incident, presque tragique, dont mon noble coursier Grane fut le héros involontaire : un ennemi du ténor fit couper la bride de Grane qui resta dans la main de Siegfried ; et voilà la bête, affolée, caracolant sur la scène. Mon ténor l’empoigna par la crinière et l’emmena dans la coulisse. Pendant cette même série de représentations, une ennemie à moi, cette fois, fit mettre du noir de suie sur le museau du cheval, espérant qu’en le caressant je me salirais la main, et peut-être ma robe ; heureusement, je m’en aperçus à temps. On m’apporta un linge mouillé avec lequel je nettoyai ma main dans la coulisse et ma rivale en fut pour ses frais.
J’ai d’ailleurs eu, avec Grane, des aventures tragi-comiques sur mainte scène : le comique eut lieu à Monte-Carlo. J’avais un bon petit cheval, doux comme un agneau, je le bourrais de sucre. Il m’aimait beaucoup. Mon Siegfried, Van Dyck, me grondait car il prétendait que cela lui poissait les mains. Tout marchait bien. Mais à la première, le cheval eut peur de la haute silhouette de Van Dyck. Il avait une lance énorme à la main, des ailes au casque et un grand bouclier. Grane refusa obstinément de le suivre : malgré la poigne solide de Van Dyck, il allait presque s’abîmer dans l’orchestre. J’eus une inspiration du ciel : je dis : « Lâche-le, lâche-le ! » Ernest le lâcha et le bon petit cheval me suivit, manifestant ainsi sa préférence pour Brunnhild.
Françoise Jeanne Vasilievna Schütz, dite Félia Litvinne (11 octobre 1860, Saint-Pétersbourg – 12 octobre 1936, Paris.)
Remarquée très tôt pour sa voix exceptionnelle, Félia Litvinne se voua corps et âme à son art et devint une des plus grandes cantatrices de son temps. Connue principalement pour ses interprétations magistrales des grands rôles wagnériens, dont elle assura plusieurs créations, elle triompha sur les plus prestigieuses scènes internationales. Elle termina sa carrière en tant que professeur à Paris, où elle forma entre autres Germaine Lubin, et au Conservatoire Américain de Fontainebleau, ville où elle s’était installée.
Avant-propos
Préface
PREMIÈRE PARTIE – Les débuts
I. – L’enfance dans les frimas. Russie
II. – L’adolescence, parmi les fleurs, sous le ciel bleu. Italie
III. – La jeunesse, l’âge mûr, dans la lumière. France
DEUXIÈME PARTIE – La période wagnérienne
I. – Le retour au théâtre
II. – Le voyage à Bayreuth et le Metropolitan Opera de New-York
III. – Le Nouveau Théâtre
IV. – Le théâtre du Château-d’Eau
TROISIÈME PARTIE – Les grandes tournées
I. – Russie
II. – Monte-Carlo
III. – Rentrée à l’Opéra
IV. – L’Opéra-Comique
V. – La Gaîeté-Lyrique
VI. – Repos à Paris
VII. – Théâtre de la Monnaie à Bruxelles
VIII. – Tournées et concerts
IX. – L’Amérique du Sud
X. – Dernières années de théâtre- Parsifal
QUATRIÈME PARTIE – La guerre et l’après-guerre
CINQUIÈME PARTIE – Technique
I. – Quelques conseils pratiques
II. – Étude des grands rôles
Appendices