La politique corse vaut à elle seule qu’on fasse le voyage pour la connaître. Elle est amusante comme un vaudeville et tragique comme un drame. Il y en a pour tous les goûts, pour tous les amateurs d’émotions. C’est une véritable boîte à surprises. Car les différents clans entrent les uns dans les autres à la façon des joujoux japonais.
En Corse, il n’y a pas d’opinion, il n’y a que des partis. Une opinion, c’est un luxe de citadin. Aux gens des villes et de quelques gros bourgs de se préoccuper des nuances politiques. La plupart des propriétaires et des paysans ne sont ni réactionnaires, ni modérés, ni révolutionnaires, ni rien du tout. Ils sont pour ou contre l’administration. C’est-à-dire pour ou contre ce qui donne présentement les places. Et comme l’administration actuelle est représentée par une ou deux familles, ils sont du parti de cette dernière et ils attendent un profit immédiat. De même les adversaires de cette administration actuelle forment un parti à la tête duquel se trouvent deux ou trois autres familles, qui promettent de disposer des faveurs de l’administration de demain.
Évidemment, pour la bonne règle, aux yeux du parlementarisme contemporain, les chefs se targuent d’une opinion. Mais ça c’est pour les pinzuti (les continentaux). En Corse on est plus sceptique, on n’y attache aucune importance.
Ce n’est pas parmi les Corses qu’il faut chercher les naïfs et les gobeurs. Ce n’est pas chez eux qu’il faut espérer triompher en employant les mots longs d’une aune qui résonnent comme des tambours, mais sont vides comme eux.
Les Corses sont trop intelligents et trop pratiques.
Ils savent fort bien qu’un candidat corse est un individualiste, comme un électeur corse. S’il se présente, ce n’est pas par amour pour le pays ni par dévouement pour le peuple. S’il le disait, on rirait. Un sénateur et un député sont des gens payés, et bien payés. Le paysan ne voit qu’une chose, en sollicitant son suffrage : que le candidat aspire à une place rétribuée ; donc, en votant pour lui, il lui donne réellement quelque chose, et par conséquent, il s’estime en droit d’attendre une juste rétribution.
Dans ces conditions, la politique corse est une politique uniquement d’individualités.
Pierre Piobb
Pierre Piobb, Paris 12 avril 1874 – Paris 12 mai 1942.
Corse par son père, parisien par sa mère, Pierre Vincenti dei Piobbi fut orphelin de bonne heure, et dut se tracer seul le chemin qui devait l’amener à une solide notoriété. Ses excellentes études révélèrent en lui des capacités intellectuelles exceptionnelles, aussi bien pour les lettres que pour les sciences.
En même temps qu’il poursuivait une carrière journalistique, ses connaissances dans les sciences et les langes et civilisations anciennes l’incitèrent à rapprocher ces deux domaines apparemment irréconciliables, et à s’engager dans un parcours ésotérique et occultiste brillant. Son oeuvre peu abondante mais extrêmement érudite est aujourd’hui très recherchée.
Avant-propos
I – Le pays
Les cinq régions de la Corse
Aspect général
II – Le peuple
Caractère général des Corses
Traditions antiques
Les Pomontinchi
Les Castagnicciaj
Les Balanini
Les Capi-Corsini
Les Bonifazini
Le dialecte corse, sa décadence
La religion
Les citadins, leurs embarras
Les propriétaires, leur situation difficile, leur politique
Les paysans, leurs métiers, leur pauvreté
Les bergers, leur mentalité, leurs mœurs
Situation de la Corse vis-à-vis des gouvernements français
III – Le mal
La détresse et la pauvreté générales
La légende du dédain des Corses pour l’agriculture
La question des Lucquois
Géologie agricole de la Corse
Région des pâturages ; état de l’élevage en Corse
Les cultures entreprises et projetées
Le paludisme, ses ravages et ses causes
L’assainissement, son urgence
La question du déboisement, la vérité sur l’exploitation des châtaigneraies
Évolution de la mentalité des Corses
Mines, carrières, eaux minérales
État actuel du commerce
Le chemin de fer, son insuffisance, son prix de revient, ses bénéfices
Les routes et les bateaux
La politique et le jeu des partis
Corruptions et fraudes électorales
Incurie administrative
Emmanuel Arène et son clan
La commission d’enquête de 1908
Les réformes projetées