C’est l’heure que j’aime. Il fait presque sombre dans la chambre, mais, au dehors, c’est encore le jour, et le grand cyprès dresse sa pointe obscure vers le ciel clair, quand je descends au jardin. La terre où je pose mon pied est humide. Les sauges et les plates-bandes sont d’un écarlate plus verni. Une large rose blanche courbe sa tige flexible et repose dans l’air immobile, de tous ses pétales pesants. Je passe près d’elle sans m’attarder et je prends l’allée qu’il faut, sans quoi je me laisserais captiver par le charme de ce jardin crépusculaire et je ne sortirais point. Et que ferais-je alors de la grosse clé qui pend à mon doigt ?
Elle ouvre, cette clé, la haute grille de fer forgé qui donne sur la petite terrasse en corbeille au-dessus du canal. Au bas des glissantes marches de marbre, la gondole attend entre les pali. Je m’installe sur ses coussins de cuir noir. À la proue, le fer tranchant se recourbe hardiment. N’est-ce pas lui qui semble avoir coupé à travers Venise les luisantes entailles de ces canaux que borde, çà et là, de sa plaie mal cicatrisée, quelque rouge façade de palais ? N’est-ce pas lui qui a déchiré, d’un sillage vite recousu derrière moi, l’étoffe satinée de la lagune ?
Christine L. –
Écriture belle riche douce, elle vous prend par la main pour une découverte que nulle agence de voyage ne peut proposer.