De semblables doctrines peuvent mener loin, et Paris lui-même n’y échapperait pas. C’est sérieusement que je parle. La plupart des arguments dont on s’est servi pour faire entrer le Schleswig dans la foule des nationalités au service, bien involontaire, de l’Allemagne, s’appliqueraient fort justement à Paris, car enfin Charlemagne a gouverné l’Île de France, et notre capitale renferme une colonie allemande, évaluée à cinquante mille âmes, qui a eu plusieurs années son journal et son théâtre, qui a encore partout des Turnverein et des Trinkhallen, et où l’on ne compte pas moins de vingt-six Müller et de trente-sept Schneider.
Faut-il ajouter que non seulement nos principaux tailleurs, mais encore nos rois de la finance portent des noms en er ou en heim, et que les idées germaniques font irruption de tous côtés dans le peu de littérature sérieuse que nous avons ? Non, en vérité, il n’y a rien à répondre à une argumentation aussi claire. C’est l’Allemagne qui nous habille, qui met son argent dans nos poches, qui nous instruit et nous amuse. Le jour où il lui conviendra de réclamer aussi Paris, nous n’aurons qu’à nous incliner devant son auguste volonté, trop heureux d’être admis à servir d’humbles instruments à sa mission divine. À moins toutefois que d’ici là le populus late rex des temps modernes ne reconnaisse enfin tout ce qu’il y a de puéril, d’enfantin même dans des doctrines qui, si elles pouvaient être prises au sérieux, deviendraient une injure permanente pour la juste susceptibilité de ses voisins.
Que les compatriotes de M. Gervinus et de Hegel le sachent bien ! L’Europe ne deviendra jamais la proie d’un peuple, et la seule conséquence pratique du prétendu droit de la race germanique à germaniser tout ce qu’elle touche serait à l’avenir de la faire chasser en temps opportun de chez tous ceux qui veulent bien lui donner asile.
Il n’y pas encore d’avis.