Parmi les activités créatrices que la religion met en jeu, le sentiment esthétique ne doit jamais être oublié. Bien que je me sois interdit toute incursion dans le domaine ecclésiastique, il me sera cependant permis d’indiquer ici comment certaines églises ont plus de prise sur la nature humaine, grâce à la satisfaction qu’elles offrent à ses besoins esthétiques. Il y a des âmes qui aspirent surtout à simplifier, à purifier leur vie intérieure ; d’autres ont une imagination qui réclame la richesse et l’éclat. On voit une différence analogue dans les caractères. Pour certains hommes, le désordre est insupportable ; il faut que leur vie extérieure soit simple et cohérente ; pour d’autres, au contraire, les superfluités, la surabondance d’excitation, sont indispensables.
Il y a des hommes qui tomberaient en défaillance si tout à coup ils trouvaient toutes leurs dettes payées, tous leurs engagements tenus, leur correspondance à jour, leurs difficultés résolues, tous leurs devoirs accomplis, sauf un seul qu’ils n’auraient qu’à remplir sur-le-champ. Une vie si dépouillée de soucis les épouvanterait. De même le luxe, l’élégance, les marques d’affection, les égards, sont pour les uns une nécessité, et ne sont pour les autres que mensonge et frivolité. Une imagination éprise de splendeur ne saurait se contenter d’une religion tout intime. Elle a besoin d’institutions majestueuses et complexes, dont les parties forment une belle hiérarchie, où l’autorité descend de degrés en degrés depuis la divinité qui est au sommet du système jusqu’aux étages inférieurs où brille encore un reflet de son mystérieux éclat.
On se sent en présence d’un beau monument couvert d’ornements précieux ; on entend résonner les accents harmonieux des chants liturgiques ; toute l’église rend gloire à Dieu. À côté de cette magnifique complexité, où la vie circule dans tous les sens sans nuire à la stabilité de l’ensemble, où les plus petits détails ont leur valeur, combien pâle apparaît le protestantisme évangélique ! Quelle n’est pas la sécheresse de ces hommes qui, chacun pour soi, prétendent rencontrer Dieu face à face ! La Réforme a voulu niveler, pulvériser les splendeurs accumulées par l’église romaine. Pour une imagination habituée aux cérémonies pompeuses, le protestantisme, en dépouillant l’Évangile de ses ornements, paraît avoir mis un hospice à la place d’un palais.
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