Les domestiques y forment une famille à côté de celle des maîtres. La jolie fille qui nous sert à table est l’arrière-petite fille de la vieille bonne qui a élevé la mère de Michel Tavera. Elle est entrée à neuf ans dans la maison, elle ne l’a jamais quittée. Elle y a vécu, s’y est mariée, y a fait souche de vingt-cinq enfants et petits-enfants ; elle vit retirée, maintenant, dans la maison des Tavera à Ajaccio, servante-aïeule, verte et chenue encore sous la neige de ses quatre-vingt-six ans : soixante-dix-sept ans de service, autre temps, autres mœurs ! Il faut venir en Corse pour trouver encore de pareils spectacles. « C’est l’éloge des maîtres et des serviteurs », ne puis-je m’empêcher de faire remarquer.
Un dernier trait qui fixera les mœurs patriarcales de la race.
Dans l’immense cuisine, que cinq marches séparent de la salle à manger, il y a aujourd’hui vingt personnes à table, les fils, les filles et petits-enfants de la servante-aïeule, venus tous d’Ajaccio célébrer la fête du pays. Les Tavera les traitent magnifiquement et leur servent le même repas que nous mangeons à la salle. Il y a là des marins de la Compagnie Fraissinet, un berger, un forgeron, un maçon même, tous les corps de métier.
Tous ces braves gens ont quitté Ajaccio à une heure du matin, empilés sur une charrette à un cheval que leur prête le maître ; toute la nuit ils ont marché au pas sur les routes en chantant ; ils sont arrivés à l’aube au village. Ils repartiront au crépuscule.
Par les fenêtres ouvertes, derrière les persiennes closes, les voceri des pleureuses, le lamentable chant funèbre de la morte, pénètrent avec des senteurs de myrte et du soleil.
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