Tout au contraire, à deux pas de là, une jolie enfant de trois ou quatre ans surveille un gros bébé flasque et mou, étalé sur la fougère, lequel ne fut pas mouché, je pense, depuis qu’il a vu le jour. Une quenouille de lin ébouriffée sous un bonnet terreux, avec un petit nez retroussé plein de malice, des yeux de charbon, de belles joues mordues du soleil, voilà la jeune Lucie dont ma destinée fut d’être l’ami pendant toute une heure. Une poule jaune, cherchant des vers, était visiblement de la famille. Un petit garçon de dix ans avec une chèvre blanche tourmentaient, chacun à sa façon, le buisson voisin.
Surpris du tableau, j’avançais, sans que poule, enfants, ni batteuse de boue prissent garde à ma venue. Une curiosité, pourtant, m’arrêta, et ne sachant trop de quel propos solliciter l’attention de mes compagnons de rencontre, je posai la question de savoir où se trouvait le prochain verre d’eau. La lessiveuse, alors, cessant d’agiter ses guenilles, se leva brusquement, et je vis une petite chose parcheminée, sans âge, sans couleur, sans regard et sans voix, qui, d’un geste, me fit signe de la suivre. J’obéis, devenu muet à mon tour. Et voilà que la petite et le bébé, et la poule, nous accompagnent, à travers les ronces, jusqu’au creux d’une ancienne carrière, à cent pas de là, où se révèle à moi la hutte de Robinson.
C’est une construction de terre et de branchages, comme celles que durent inventer nos antiques parents au sortir des cavernes primitives, si bien fondue de glaise avec le terrain d’alentour que, sans le trou noir de l’entrée, on ne s’aviserait pas, d’abord, qu’un troglodyte vit là. Devant sa porte, le sauvage, assis sur une souche, panse sa jambe saignante, blessée par un éclat de caillou sans doute, car la petite masse, à ses pieds, le révèle casseur de pierres. La femme, d’une voix saliveuse d’édentée, explique à son homme ma requête :
– Entrez, fait l’autre, noblement.
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