La royauté de Mlle Poisson avait commencé de bonne heure. Les familiers de sa mère continuaient à l’appeler « Reinette », et elle était de celles qui établissent partout leur domination, habituées à se reconnaître supérieures aux autres, sans imposer cette certitude, et pouvant se faire pardonner leurs mérites par l’incomparable don de plaire. L’éducation la plus raffinée parait des agréments les plus rares la séduisante jeune fille. Deux poètes tragiques lui avaient enseigné la déclamation et le jeu scénique ; c’étaient Crébillon, aussi célèbre alors que l’avait été Corneille, et Lanoue, qui, après quelques succès d’auteur, allait entrer comme comédien au Théâtre-Français. Elle savait danser à la perfection, dessinait convenablement, et peut-être aimait-elle déjà à guider la pointe sur une planche de cuivre. Mais son principal talent, à cette époque de sa vie, était le chant ; elle en tenait les principes de Jélyotte, le chanteur de l’Opéra, aussi aimé dans les salons qu’au théâtre, et dont les succès, dit-on, ne s’arrêtaient pas aux applaudissements.
Avec tant de grâces et de dons naturels, cultivés d’une façon aussi brillante, Mlle Poisson avait été recherchée dans les réunions du monde, et sa mère s’était vu ouvrir par elle des portes qui lui fussent sans doute demeurées closes. On les recevait à l’hôtel d’Angervilliers, où la jeune fille chanta un jour le grand air d’Armide, de Lulli, et charma tellement Mme de Mailly que celle-ci la voulut embrasser. On les devine admises dans quelques cercles peu difficiles de l’époque, où l’esprit et les grâces invitaient de droit.
Il n’y pas encore d’avis.