C’est à Tlemcen que j’ai passé le 1er janvier de l’année 1900, sans que j’aie pu savoir d’ailleurs, parmi les avis divers des gens disposant de ces choses-là, si j’étais encore dans le dix-neuvième ou déjà dans le vingtième siècle. Nous avons discuté gravement la question, en bons Parisiens, dans la nuit de la Saint-Sylvestre, autour d’une table amicale où fumait le samovar et où respirait un bon air de France. Le lendemain, malgré un sirocco qui arrachait les toits, déracinait les arbres, et qui me rappelait vraiment trop les rafales de l’Escurial, j’étais jeté en Tlemcen, c’est-à-dire en pleine Afrique.
Pas une minute d’hésitation ni de désillusion : la réalité était à la hauteur du rêve et, du premier contact, elle m’empoignait. Le trop court séjour que j’ai fait à Tlemcen a été une course haletante de colline en colline, de mosquée en mosquée, de quartier en quartier, ou, pour mieux dire, de ville en ville ; car Tlemcen, au cours de sa tragique histoire, s’est déplacée plusieurs fois, cherchant un endroit où s’arrêter et se reposer définitivement, et ne le trouvant jamais. Elle s’est promenée pendant des siècles, de Sebdou en Agadyr, d’Agadyr en Tagrath, de Tagrath en Mansourah, de Mansourah en Tlemcen, et, comme les capitales, elle est la ville aux sept collines.
Aujourd’hui, à demi couchée sur les pentes des coteaux, au pied de la magnifique plateforme à pic qui la domine, vêtue de la forêt des oliviers, des cerisiers, des amandiers, des orangers, des platanes et des chênes, Tlemcen étend devant elle, dans la plaine rousse et verte, le tapis naissant des céréales, l’alignement des vignes et l’ombre fine des vergers. Elle répand sur les molles collines, d’abord, les cubes de ses marabouts semés dans la campagne, puis les toits rouges des fermes et des villas, puis les gradins étagés de ses maisons blanches, et enfin, tout en haut, les minarets et les dômes de ses trente mosquées.
Ce n’est pas la mort, c’est plutôt le sommeil d’une grande et belle ville ; on sent poindre en elle et hors d’elle comme le frémissement d’une prospérité latente. Sur les pentes bruit partout le gazouillis des eaux, si précieuses en terre d’Afrique. Et c’est le chant universel qui dit la fécondité, la joie et l’espérance. Les poètes arabes, qui ont tant aimé Tlemcen, ont célébré ses eaux et cette fameuse fontaine de Lourit, qui est comme une Vaucluse africaine.
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