Et comme corollaire, cette réflexion mélancolique : « J’ai passé ma vie à étouffer mon père au-dedans de moi, je le sentais se réveiller à chaque instant avec ses colères, ses manies… » Il arrive aussi que lui reviennent, au hasard, « mille détails, chansons de table, absence de toute barbe », et c’est page à page, à travers son œuvre, qu’on peut entrevoir un de ces « détails ». Ou ceci : « Délicieux goûter que tout petits on nous envoyait faire au jardin avec un morceau de pain, et permission de picorer à même la treille ou l’espalier… Quelle buée autour de tout ça… » Pour toute sa vie, ce goût du pain avec les fruits, n’importe quels fruits… Je crois que tout jeune il fut, comme il le dit « entre ciel et terre », dans le rêve autant que dans la réalité.
De très bonne heure, sa myopie exceptionnelle (par la suite les verres de ses lunettes de travail et de son monocle étaient aussi concaves que des cupules) dut l’obliger à une constante transposition qui eut sans doute une grande influence sur son esprit, et développa exceptionnellement son odorat et son ouïe : il sentait et écoutait un paysage autant qu’il le regardait, ou plutôt son œil, ses narines et ses oreilles s’étaient habitués, dès sa connaissance des choses, à s’unir pour s’entraider.
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