Le grand château est devenu une solitude ensevelie dans les glaces. Au dedans, au dehors, le silence. Les corbeaux noirs s’abattent sur les champs neigeux, les pensées sombres sur les hôtes de Monceaux. Nous sommes seuls, Lamartine, sa femme et moi, dans le travail et la tristesse.
Mme de Lamartine m’a donné la plus belle chambre du château, la chambre Louis XV, aux trumeaux à la Watteau, aux lambris rouges, près de la longue galerie. Notre vie est grave, mais douce pour moi ; nul ne vient distraire cette intimité. Pas un visiteur n’affronte la neige, ne monte l’avenue. Nous vivons isolés comme dans un monastère.
Le matin est tout au travail. Lamartine, de sa plume infatigable, écrit un roman populaire. Seul, dans la galerie, aux chaudes flammes de la cheminée, je lis les lettres confiées à ma plume novice, troublé souvent dans mes réponses. Après sa prière du matin, Mme de Lamartine sort de sa chambre, vient s’asseoir près de moi, aide, encourage le jeune secrétaire improvisé. Elle m’apporte les feuilles nouvelles tombées de la plume matinale, les épreuves arrivées de Paris. Nous lisons ensemble, moi entraîné par le charme, elle moins séduite, plus attentive aux imprudences de l’improvisation ; s’arrêtant à telle parole trop vive ! « Ne pensez-vous pas que cette phrase puisse causer une erreur sur la politique de M. de Lamartine ? » Elle arrête sur tous les replis les plus cachés son regard et son examen. Sa critique vigilante ne laisse rien échapper ; elle est la réflexion de ce génie d’improvisation.
La lecture du roman la Servante nous charme, sans l’ombre d’une critique, par sa figure touchante, sa poésie rustique, son style pastoral. Nous admirons, dans ce génie si grand, le don de simplicité, de la langue des petits, comme la servante de Jocelyn !
Il fait toucher le ciel aux plus petites mains.
La tâche charmante est finie. Mme de Lamartine, assise devant son chevalet, se remet à la peinture. Elle peint pour la décoration du foyer et ses œuvres de charité.
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