Fragonard avait, en effet, apporté des rouleaux qui contenaient les toiles refusées jadis par Madame du Barry et dont il n’avait pas voulu jusqu’alors se défaire. Sans doute avait-il compris qu’il n’en trouverait plus désormais le placement et, le besoin d’argent étant venu, les cédait-il au cousin à médiocre prix. La supposition est tellement naturelle qu’elle suffit à motiver le voyage de Provence, l’artiste ayant tenu à mettre lui-même en place ces chères œuvres. Les dimensions du salon s’accordaient parfaitement aux mesures des toiles ; quatre étaient achevées ; la cinquième, l’Abandon, faite en grisaille vingt ans plus tôt, s’harmonisait suffisamment avec l’ensemble ; Frago renonça à y mettre les couleurs, se sentant incapable de retrouver son pinceau d’autrefois et ne voulant pas risquer de gâter son chef-d’œuvre. Il faut écarter l’idée qu’il ait traité, à Grasse même, ce cinquième sujet ; la facture admirable du morceau témoigne, sans doute possible, qu’il est contemporain des quatre autres, et l’histoire de la commande de Louveciennes explique l’état dans lequel il fut laissé.
Ce que Frago exécuta sur place pour compléter le salon du cousin, ce sont des Amours à travers les nuées, dessus de porte où il a repris des sujets familiers, et les panneaux où dégringolent l’Amour vainqueur, l’Amour folie, l’Amour poursuivant une colombe, l’Amour embrasant l’Univers. À ces redites éternelles, sa verve n’est pas trop fatiguée, sa main reste ferme, sa touche amuse encore. C’est la dernière fois qu’il se permet ces jeux capricieux et charmants, que son temps a si vivement goûtés. C’est dans cette maison paisible, parmi les boiseries blanches de ce salon de province, que viennent se réfugier, à l’heure du grand changement des mœurs françaises, les grâces exquises de l’ancien régime, les plus délicats témoignages de la société qui disparaît.
A Valandrey –
Je conseille vraiment ce livre, c’est une vraie remontée dans le temps, avec tous les détails
très émouvant..