Au petit jour, nous sommes à Trieste.
C’est une très belle ville, dans une situation admirable. Pressée d’abord le long de ses quais, en larges masses blanches, très moderne et comme neuve, avec ses hautes maisons peintes, ses rues pavées de dalles, ses quartiers commerçants d’une opulence et d’une propreté rares, elle s’étage ensuite sur les premières assises des montagnes qui ferment la mer, espaçant ses habitations dans la verdure des vignes et des oliviers, jusqu’à cette région dénudée et pierreuse où le froid saisirait l’Italien frileux. Beaucoup de ports d’Orient sont bâtis de la sorte, en amphithéâtre, autour d’une anse bleue.
Celui-ci est, d’ailleurs, très levantin de mœurs et de couleur. Toutes les Échelles du Levant y sont représentées. La poupe des tartanes y porte des noms qui ont un miroitement de soleil et de sequins : Constantinople, Salonique, Smyrne, Corfou, Scutari, Syra. Des patrons de barques se promènent sur les jetées, portant la veste bleue et les longues moustaches des brigands barbaresques. Beaucoup d’inscriptions sont en grec ou en turc, au-dessus des cabarets et des boutiques de voiliers.
Il y a près des fontaines des auges de pierre, pour abreuver les bœufs qui, le plus souvent, remplacent ici les chevaux. On les rencontre partout, ces petits bœufs jaunes, attelés entre des brancards, quelquefois deux ensemble et conduits en tandem, traînant des chariots étroits. Ils sont une des curiosités du port. Vers midi, on peut les voir, autour d’un square, près de la gare, dételés et couchés à côté de leurs chariots, comme des bêtes de caravane, le mufle tendu vers l’ombre des rues, endormis pêle-mêle avec leurs conducteurs.
René Bazin
René Bazin – 26 décembre 1853, Angers ; 20 juillet 1932, Paris
Juriste de formation, mais avant tout homme de lettres, René Bazin a commencé à écrire dès qu’il en a eu la capacité. En plus de collaborer à plusieurs journaux (le Figaro, le Journal des Débats, la Revue des Deux Mondes, etc.) il est l’auteur d’une oeuvre foisonnante : récits de voyages, biographies, nouvelles, poèmes, et surtout de nombreux romans, dont la plupart remportent un fort succès et dont plusieurs sont primés. En 1903, Les Oberlé lui ouvre les portes de l’Académie Française. Il meurt à l’apogée d’une magnifique gloire littéraire, que les bouleversements de l’histoire et le cours trop rapide du temps ont un peu éloignée. René Bazin est le grand-oncle de l’écrivain Hervé Bazin.
Avant-propos
I – Un domaine seigneurial en Piémont
II – Venise.
– La note moderne.
– Les réservistes.
– Sensations rapides.
– Une idylle
III – De Venise à Trieste la nuit.
– Trieste et ses deux rivales.
– La mêlée des races.
– Pour une photographie.
– La dernière conquête des Slaves
IV – Sur la route d’Adelsberg.
– Un compartiment de troisième.
– Opinions d’un musicien italien et de deux vélocipédistes hongrois.
– L’irrédentisme.
– La démonstration du vendredi
V – Les deux Bologne.
– L’Université.
– Les nations de Flandre et d’Espagne
VI – Un patriote grand seigneur.
– Son opinion sur la triple alliance.
– La marquise B.
VII – Le palais du marquis B.
– Les partis italiens.
– Mélancolie d’un jeune homme riche.
– La peur de se compromettre
VIII – Florence la nuit.
– Une œuvre pie : la Miséricorde.
– Les pigeons du Dôme
IX – Assise
X – Observations psychologiques à propos de Massaoua
XI – La ville et le territoire de Massaoua.
– Les alliés de l’Italie.
– L’avenir de la colonie Érythrée
XII – La famille Tacconi.
– Les ouvriers français à Rome.
– La troisième visite
XIII – La combinazione.
– Pourquoi les Italiens n’ont pas de romanciers
XIV – La pénétration allemande.
– L’influence française
XV – L’enseignement secondaire à Rome
XVI – La loterie
XVII – Mon ami Dévastard.
Conclusion