Heures de Corse

Jean Lorrain

La Corse au tournant du 20e siècle est à peu près telle qu’elle a toujours été. Les deux seuls bouleversements notables sont les premières arrivées de touristes, et la fulgurante trajectoire napoléonienne qui a marqué l’île d’une empreinte indélébile. Les coutumes immémoriales étonnent les étrangers à la recherche des traces de l’Aigle, ou des bienfaits du climat pour rétablir une santé défaillante. C’est le cas de l’auteur qui, partout la plume à la main, se fait un plaisir de partager avec nous ses réflexions. Un livre sage dans l’œuvre de Lorrain, distrayant et instructif pour le lecteur d’aujourd’hui. (Édition annotée)

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Les domestiques y forment une famille à côté de celle des maîtres. La jolie fille qui nous sert à table est l’arrière-petite fille de la vieille bonne qui a élevé la mère de Michel Tavera. Elle est entrée à neuf ans dans la maison, elle ne l’a jamais quittée. Elle y a vécu, s’y est mariée, y a fait souche de vingt-cinq enfants et petits-enfants ; elle vit retirée, maintenant, dans la maison des Tavera à Ajaccio, servante-aïeule, verte et chenue encore sous la neige de ses quatre-vingt-six ans : soixante-dix-sept ans de service, autre temps, autres mœurs ! Il faut venir en Corse pour trouver encore de pareils spectacles. « C’est l’éloge des maîtres et des serviteurs », ne puis-je m’empêcher de faire remarquer.

Un dernier trait qui fixera les mœurs patriarcales de la race.

Dans l’immense cuisine, que cinq marches séparent de la salle à manger, il y a aujourd’hui vingt personnes à table, les fils, les filles et petits-enfants de la servante-aïeule, venus tous d’Ajaccio célébrer la fête du pays. Les Tavera les traitent magnifiquement et leur servent le même repas que nous mangeons à la salle. Il y a là des marins de la Compagnie Fraissinet, un berger, un forgeron, un maçon même, tous les corps de métier.

Tous ces braves gens ont quitté Ajaccio à une heure du matin, empilés sur une charrette à un cheval que leur prête le maître ; toute la nuit ils ont marché au pas sur les routes en chantant ; ils sont arrivés à l’aube au village. Ils repartiront au crépuscule.

Par les fenêtres ouvertes, derrière les persiennes closes, les voceri des pleureuses, le lamentable chant funèbre de la morte, pénètrent avec des senteurs de myrte et du soleil.

Jean Lorrain

Jean Lorrain, Fécamp, 9 août 1855 – Paris, 30 juin 1906
De son vrai nom Paul Alexandre Martin Duval, ce fils de bonne bourgeoisie provinciale sortit vite du rang. Ayant jeté ses études aux orties, il se lança dans la poésie, la littérature et le journalisme. Mais surtout il sut jouer de son goût de la provocation pour se composer un personnage outrancier haut en couleurs, bagarreur, scandaleux, et volontiers vulgaire. Son attrait morbide pour les paradis artificiels, les ambiguïtés de sa sexualité, joints à la qualité indéniable de ses oeuvres, composent un ensemble hétéroclite qui exclut d’emblée l’indifférence. Usé par ses extravagances, il finit par mourir à 50 ans, après plusieurs cures de désintoxication peu concluantes.

De Marseille à Ajaccio

Lui !

Dimanche corse

Les quais

Les pèlerinages

Fleurs d’exil

Les voceri

Le seize août en Ajaccio

Sous les châtaigniers

Le village

Quelques bandits