À Versailles, contrairement au château qui, de rendez-vous de chasse, est devenu palais d’État, Trianon, dès le début conçu comme un lieu privé de détente, a gardé sa vocation. Refuge discret pour les favorites ou maison particulière de la reine, cette annexe très protégée vit grandir au fil du temps son rôle de lieu de repos, loin des contraintes de l’étiquette. Cet aimable cadre des fêtes et des amitiés informelles fut suffisamment choyé pour devenir un véritable bijou d’élégance et de raffinement, qui nous enchante encore aujourd’hui. L’auteur nous présente son histoire avec autant de science que de cœur. (Édition annotée.)
(Version révisée, augmentée et illustrée de celle de 1924 parue sous le titre Le Trianon de Marie-Antoinette.)
Trianon
Le jardin cependant se meublait de perspectives intéressantes, bien que le rocher ni le lac ne fussent prêts ; mais le Temple de l’Amour apparaissait dans toute sa grâce. Marie-Antoinette voulut en célébrer l’inauguration. La fête fut offerte au Roi, le 3 septembre 1777. On raconta qu’il l’avait d’abord refusée par économie. Elle coûta fort cher, mais fut très réussie et le nouveau Trianon fort admiré. Jamais il n’y avait eu autant de monde, et, pour la première fois, les femmes des ministres y furent invitées. Bonnefoy du Plan avait eu carte blanche et s’était surpassé. Le long des avenues extérieures, on avait installé des boutiques de marchands de Paris, et c’était dans l’intérieur du jardin le joyeux tumulte d’une foire. On avait planté sur la pelouse tout un décor de place publique, avec des bornes et des fontaines, une boulangerie, une pâtisserie, une rôtisserie. La guinguette, dressée plus loin, était formée de vingt-et-un berceaux de treillage, portant chacun le nom d’une Maison royale. Dans les baraques, reliées par des guirlandes de fleurs, les dames de la Cour jouaient aux marchandes et la Reine versait de la limonade. Il y avait un cabinet de Comus et un théâtre en plein vent, où l’on représentait des proverbes à couplets, les Sabots de Sedaine, et des ballets grotesques. La foire comportait des parades de toute sorte ; on applaudit surtout le fameux Carlin, l’Arlequin de la Comédie-Italienne, batelant avec Dugazon, de la Comédie-Française, devant l’étalage d’un oiseleur, dans deux carcasses d’osier en forme de pie et de dindon. Le jeu de bague avait donné l’idée d’une fête à la chinoise ; on l’avait entouré de gradins en amphithéâtre, surmontés de quarante châssis peints représentant des vases de porcelaine pleins de fleurs, et les musiciens des gardes françaises y jouaient en costumes chinois. Le soir, dix-huit cents lanternes à la vénitienne et des feux de toutes espèces illuminèrent le jardin, où continuèrent les amusements. M. Necker en eut pour quatre cent mille livres.
Pierre Girauld de Nolhac, dit Pierre de Nolhac (Ambert 1859 – Paris 1936)
Écrivain, poète, historien, il a eu dans sa vie deux amours : les Antiquités latines et le XVIIIe siècle français – Rome et Versailles. Ses recherches sur Pétrarque feront date. Ce fort lien affectif à l’humanisme de la Renaissance italienne et à l’esthétisme de la France de l’ancien régime l’accompagnera toute sa vie, qu’il fût Conservateur du Château de Versailles ou directeur du musée Jacquemart-André. Élu à l’Académie française en 1922, il laissa une oeuvre abondante et raffinée.
I. – L’ancien Trianon
II. – Le nouveau Trianon
III. – Le jardin de la Reine
IV. – Les plaisirs de Trianon, 1774-1780
V. – Les plaisirs de Trianon, 1780-1785
VI. – Le théâtre
VII. – Le Hameau
Sources
Appendices
Trianon de porcelaine
Les consignes de Marie-Antoinette
Les recueils de Trianon