Je suis allé dans la forêt voir l’automne commençant. C’était dans ces jours d’octobre, proches de la Saint-Michel, où l’air, déjà mouillé, reste léger, bondissant, lumineux, et ne traîne pas encore le relent des feuilles mortes.
« La plus belle forêt de l’Anjou ? m’avait dit un grand chasseur, vous ne me demandez pas la plus étendue, la plus giboyeuse, mais la plus belle ? Il n’y a point de doute : c’est la forêt de Chandelais, près de Baugé. » J’allais donc, de bon matin, à travers la glorieuse Vallée d’abord, puis à travers le Baugeois, pays ondulé, pays d’horizon, où la terre cultivée se défend encore contre la fougère, la bruyère et l’ajonc, et, noire ou grise, sans cesse coupée de boqueteaux, fait songer aux landes, aux masses forestières, à l’ombre habituelle qu’elle a portée jadis.
Il n’était pas bien tard quand j’arrivai à la lisière, le long d’une route, après Baugé. Hauts arbres, chênes dominant, troncs clairs dans la lumière, je fus tout de suite ravi par cette ligne en bataille. Être de lisière, pour les branches, c’est avoir la permission de s’étendre d’un côté, et de retomber, et d’ouvrir toute la feuille que peut donner la sève. Vous devinez ce qu’octobre et le soleil du matin faisaient de ces larges draperies, que je voyais descendre jusqu’à l’herbe du talus, et, se succédant l’une à l’autre, diminuer de mesure sans diminuer d’éclat. Je trouvai là deux compagnons de route : le châtelain d’une terre voisine, érudit, observateur, et de plus bienveillant, ce qui double la vue, et un garde forestier, mince et haut, qui connaît, je pense, un par un, tous les chênes, les hêtres, les quelques platanes et les rares arbres verts que nourrit Chandelais. Le plaisir est grand de visiter la terre avec ceux qui l’aiment.
Nous entrâmes sous les voûtes.
René Bazin
René Bazin – 26 décembre 1853, Angers ; 20 juillet 1932, Paris
Juriste de formation, mais avant tout homme de lettres, René Bazin a commencé à écrire dès qu’il en a eu la capacité. En plus de collaborer à plusieurs journaux (le Figaro, le Journal des Débats, la Revue des Deux Mondes, etc.) il est l’auteur d’une oeuvre foisonnante : récits de voyages, biographies, nouvelles, poèmes, et surtout de nombreux romans, dont la plupart remportent un fort succès et dont plusieurs sont primés. En 1903, Les Oberlé lui ouvre les portes de l’Académie Française. Il meurt à l’apogée d’une magnifique gloire littéraire, que les bouleversements de l’histoire et le cours trop rapide du temps ont un peu éloignée. René Bazin est le grand-oncle de l’écrivain Hervé Bazin.